anima — ((isaak))

((in nomine patris tui))

Il n’a jamais aimé le dimanche, Isaak, il n’a jamais aimé la routine ennuyeuse d’une dévotion conventionnelle - la croix fièrement posée sur sa poitrine, artifice, les pieds qui viennent user le parvis de l’église, mensonges, les yeux qui prétendent épouser les lignes du livre sacré, vides. Ils sont une bonne famille alors ils sont de bons chrétiens, que répète maman lorsque l’espiègle vient à pousser soupir sur le chemin de la messe, ils sont une bonne famille alors ils remercient l’Éternel de leur chance - mensonge, mensonge, mensonge qu’il se répète en perpétuelle ritournelle, prière silencieuse d’un enfant qui préfèrerait les heures de sommeil dominical au salut de son âme.

Papa se fiche bien du Tout-Puissant les six autres jours de la semaine, papa collectionne les péchés capitaux comme les billets - avarice de l’austère qui accumule les trésors mis sous clés, orgueil pourtant à montrer au monde la beauté des couloirs de marbre, du véhicule rutilant, les charmes de sa femme ô ! si charmante, la tentatrice aux lèvres carmins et aux yeux vides ; maman est une simple poupée, maman est un simple trophée, maman est la parfaite petite épouse sans aucun autre intérêt - venue ou monde pour épouser puis enfanter. Luxure sous les rires gras auprès des collègues, sous les mains baladeuses même en présence du môme. Colère envers ce dernier - papa fait naître l’orage de ses mots, la tempête du souffle brûlant qu’il expire en exaspérant ; Isaak sait qu’il faut avoir peur de l'inconvénience, de l’inconvenable - sait que le père n’est jamais tendre, et préfère souvent plier plutôt que de brûler sous le joug des éclairs. Papa se fiche bien du Tout-Puissant - Isaak il le sait du haut de ses huit ans ; tant pis si on lui a commandé l’adoration éternelle au paternel.
Pardonnez moi mon père si j’ai péché, mais ce pantin d’orgueil et de colère vaine, je suis incapable de l’admirer, au nom du père je jure de jamais lui ressembler.

((smells like teen spirit))

Il a toujours aimé les couchers de soleil au bord du canal - quand la mort de l’astre dépose quelques éclats d’or à la surface de l’eau, quelques braises sur le blanc du pavé. Les pieds flottant au-dessus d’un miroir géant, à se sentir perché au-dessus du ciel ; probablement la seule chose qu’il aime encore chez cette putain d’Hambourg, amour d’un temps, amante délaissée à la naissance des premiers rêves, premiers éclats - premières étincelles de l’explosion d’une jeunesse abrasive. Douceur de printemps commence à se faire sentir sur la ville, on est le trois mars, 1988 - aujourd’hui, qu’on lui a dit, aujourd’hui Isaak, tu deviens un homme, un adulte ; pourtant il se sent encore adolescent en bourgeons.

Les pieds perdus au-dessus du canal, il s’abreuve de solitude choisie en tirant sur la fin d’une cigarette, un peu de feu liquide contenu dans une bouteille fermement tenue - majorité se fête, même en solitaire, même pour quelques heures volées avant de rejoindre l’austère, si convenable dîner familial. Isaak a grandi, s’est égaré en braises répandues par la brise sur le pavé ; a explosé de rébellion, le poing levé, la gorge écorchée des grands cris de justice - il est l’enfant de la chance, petit prince d’un royaume au mille trésors, pourtant ingrat, éternel insatisfait, Isaak il rêve d’ailleurs, il rêve de l’autre. Il est le fils de la propagande - il s’abreuve des beautés de l’Amérique, de ses héros représentatifs, de ses artistes ; geint de la pâleur de l’allemand face à l’anglais. Reçoit ses mots comme écritures sacrées - Isaak s’est enfin trouvé quelqu’un à vénérer, en la personne d’un beau parleur, gamin lui aussi épris d’ailleurs.

“Si tu savais, Isaak, comme c’est mieux là-bas - “

“Tu sais Isaak, dans ce pays peu importe qui tu es t’as tous les droits -”

“Oh, Isaak, on a jamais rien fait de plus beau que San Francisco, plus libre que la Californie,”

“Et Isaak, quels bons musiciens viennent d’ici ?”

Ce sont les heures adolescentes à rêvasser, imaginer que l’Amérique à tout à leur offrir ; ignorer les crimes pour voir que les beautés. Puisqu’Isaak est avide de liberté, rebelle à deux francs, six sous ; puisqu’Isaak brûle d’un monde meilleur, aux combats effrénés qui font pulser les veines. Il apprend à crier à ses côtés, apprend à aimer en-dehors des normes présentées - baisers à s’en brûler les lèvres, échangés à l’abris de regards paternels ; c’est l’excitation du grand secret, criminels d’un amour sincère mais pourtant passager, bien vite effacé du sable par les vagues d’une jeunesse indécise.  

Mais pour l’instant ils s’aiment, ignorants de l’éphémérité des jeunes amours ; pour l’instant le soleil naît au creux des lèvres rien qu’à se remémorer les instants passés à deux, les joies des tendresses qui bourgeonnent au bout des lèvres - le soleil qui pourtant se meurt à la fin de sa descension, et puisque le ciel porte son deuil dans le noir de la nuit, l’espiègle se lève, offre au canal la fin d’une bouteille et le mégot d’une cigarette ; part rejoindre l’Austère.

((killer queen))

feb. 1989

Les plus beaux trésors se forment au bout des lèvres des amants - et naissent les étoiles de leur étreinte, le feu de leurs caresses ; Berlin abrite chacun de leurs secrets, chaque note exquise échappée de leurs lèvres sous le plaisir. C’est éphémère que leur tendresse, artificiel que l’amour prétendu le temps du plaisir, effacé sous la jouissance passagère - pourtant pas moins vrai dans l’instant.

Se jouent entre les murs un concert de soupirs, de respirations encore un peu saccadées, souffle que l’on cherche à retrouver - la tête posée sur la peau perlée, repos de quelques instants après la tempête. Le monde autour est fait de soie et de satin, univers de marbre et d’or qui est plus le sien - Isaak a renoncé aux diamants pour épouser Berlin y a quelques mois de cela, par soif de connaissances que l’austère jugeait lubies, folies passagères qui méritaient pas son temps ni le financement d’un grand train de vie. Isaak borné clame qu’il y a pas de prix à la liberté - qu’au pire, il sera plus léger quand le vent viendra l’emporter, quand il tentera d’apprendre à voler. Pourtant, il soupire d’aise face à la beauté de la pièce qui l’entoure, au retour à un luxe qui ne lui manque que trop - rebelle de papier mâché a bien du mal pourtant à renoncer à ses privilèges.

Pas le temps pour l’esprit de s’égarer aux rêveries dorées, s’abandonner aux rivières de diamant qui autrefois, s’échappaient d’entre ses doigts. Corps se redresse sur le matelas, s’apprête à le quitter - retenu par la douceur d’une main contre sa taille. Surprise.

“Reste encore un peu…”

S’échappe en douce prière des lèvres de l’amant, les épaules se haussent, pourquoi pas s’abandonner à un peu de tendresse - pourtant, aucun désir d’envoyer un message contradictoire aux chuchotements du cœur, il n’est pas sien, n’est qu’un peu de chair à aimer l’espace d’un instant.

“Tu sais, Isaak, t’es pas obligé de filer à chaque fois.”

L’iris soudainement verrouillée à son visage, sourcil s’arque un peu, c’est la curiosité qui se glisse, sournoise, sous l’épiderme, grave quelques questions sur l’encéphale.

“Si tu voulais bien arrêter d’fuir...si tu voulais bien être mien. Tu sais, la vie que je pourrais te faire mener ? Tu vois tout ce que j’ai ?”

Et il regarde à nouveau toutes les richesses qui encombrent la pièce, celle qui exulte des murs comme si la maison la respirait, des meubles finement taillés ; à repenser à son propre foyer, l’appartement étriqué et les affaires bon marché. Isaak qui prétend pas être intègre - préfère le confort quitte à tâcher le cœur, Isaak le beau parleur ; Isaak le fils délaissé du luxe à outrance. Isaak à la morale un peu faible qui se recouche, rejoint son côté. Et pourquoi pas ?