- wir waren groß und am ende, doch so klein

(cinq)
tiens-toi droite.  que maman lui répète pour la énième fois. la posture, c’est si important. et puis, papa et maman, ils ont tellement dépensé pour permettre à leur princesse de vivre son rêve, celui de devenir une danseuse étoile. elle est toute jeune encore, mais déjà, on lui imagine une carrière exceptionnelle. on la voit déjà interpréter odette ou giselle, on lui prédisait déjà des ovations à chaque performance, les pluies de fleurs. anya, la danseuse étoile de sa compagnie alors qu’elle n’est âgée que de huit ans. anya, la fierté de la famille, de qui papa et maman parlent sans arrêt lorsqu’ils se retrouvent dans des soirées. elle est le petit prodige, l’enfant que tout parent voudrait avoir. elle fait l’envie de bien des familles qui voient en leurs rejetons des moins que rien. le monde est sans pitié. le monde n’est pas beau. elle l’a compris rapidement, anya, mais elle ne peut rien y faire. alors, en attendant de pouvoir changer le monde, elle se redresse sans rechigner, adoptant une posture parfaite qui fait sourire maman. voilà qui est mieux. ils semblent terribles, les géniteurs, mais en vérité, ils sont plutôt pas mal. anya ne peut pas se plaindre. certes, ils vivent avec une fortune relative, la majeure partie de leurs dépenses étant les cours de ballet que suit leur fille – ce que c’est dispendieux de ne vouloir que ce qu’il y a de mieux pour son enfant – mais ils sont heureux. peut-être qu’ils sont exigeants, mais anya, elle aime qu’on la pousse au-delà de ses limites. petite fille déjà fonceuse, elle n’accepte pas la facilité. elle a besoin de ce challenge qu’on lui apporte jour après jour. cette autorité, cette univers strict, c’est aussi un peu elle qui se l’est imposée. parce qu’au fond, malgré ces apparences de famille parfaite, d’enfant modèle, ils n’ont besoin que de peu pour être bien. un toit sur la tête, un bon repas en famille, voilà que le bonheur règne à table.

(six)
douze heures qu’elle danse, anya. douze heures qu’elle répète les même mouvements, qu’elle perfectionne ce qu’on lui a appris. douze heures qu’elle danse, qu’elle souffre, que ses pieds saignent, qu’elle a la tête qui tourne, mais elle ne peut pas arrêter. il faut continuer. mais elle est épuisée, anya. elle a les yeux qui se ferment tous seuls. elle a mal. et c’est dans ces moments que les blessures surviennent. personne ne l’avait averti qu’à trop vouloir en faire, elle allait finir par se bruler les ailes. elle l’a appris à ses dépends lorsque sa cheville a flanchée, lorsqu’elle a fait un faux mouvement et qu’elle s’est effondrée. lorsqu’elle s’est retrouvée dans le bureau d’un docteur qui s’est amusé à toucher sa cheville, à la faire se tordre de douleur. puis, la nouvelle, évidemment, s’est rendue aux oreilles des hauts-placés du ballet qui ont été plus que difficiles et sévères envers elle, jetant presque le blâme sur elle. sa blessure était de sa faute. sa carrière était terminée, ils lui avaient bien fait comprendre, et elle ne pouvait que s’auto flageller d’avoir été aussi idiote. parce qu’elle n’était plus rien. la star s’était éteinte et, honteuse, elle pris la décision de quitter sa russie natale, errant d’un pays à l’autre sans réel but, à la recherche de qui elle était maintenant. sa vie entière tournait autour du ballet. que pouvait-elle faire maintenant qu’elle n’était plus ballerine?

(sept)
il l’a tout de suite remarquée, petit ange aux traits fins perdu dans cette grande ville. il l’a vue, elle et son corps svelte, ses jambes qui n’en finissent plus et qui pourraient faire baver n’importe quel homme. s’en était fini pour elle. parce qu’il lui a balancé de belles paroles qui font rêvé. il lui a fait miroiter un avenir qu’elle croyait perdu à jamais. il lui a fait croire qu’elle pourrait être heureuse à nouveau. elle voulait tellement que tout ce qui lui dise devienne réalité. loin de sa terre natale, de ce rêvé brisé, elle avait désespérément besoin de quelque chose à quoi s’accrocher et lui est apparu comme une vision divine, la réponse à ses problèmes. mais elle ne savait pas, anya, que l’humiliation qu’elle avait subi au bolshoi n’était rien face à ce qu’il lui préparait. elle était loin de se douter que derrière ces belles paroles se cachait l’incarnation du diable. les premières semaines, tout allait si bien. il était drôle, gentil, prenait soin d’elle. puis, il a haussé le ton une première fois. t’es idiote ou quoi? combien de fois il faudra que je te le répète que ce n’est pas la pose que je veux. elle essayait, anya, mais elle n’y arrivait pas. il la voulait détendue, elle qui avait toujours entendu de ses parents qu’il fallait se tenir droite. elle n’était pas capable d’avoir cet air décontracté que les autres modèles parvenaient si facilement à adopter. parce qu’elle était tendue, anya. sa voix qui résonnait contre les murs de la pièce lui donnaient des frissons dans le dos, rien pour l’aider. puis, il a bondi sur ses pieds avant de s’avancer vers elle, s’élevant comme une tour au dessus d’elle. c’est la première fois qu’il a posé la main sur elle, qu’il a été violent.

(huit)
les nœuds dans le dos qui se dénouent tranquillement, les étoiles dans les yeux qui se remettent à scintiller un peu. elle a l’impression de revivre, anya. quand elle est en sa compagnie, c’est comme si elle pouvait respirer à nouveau, comme si elle pouvait, pour une fois, réellement être elle-même, sans tabou, sans complexe, laisser tomber les masques. elle se permet d’être ce petit être fragile qu’elle tente de cacher aux yeux du monde. et c’est ainsi, à chaque soir, chaque fois qu’elle rentre dans cet appartement qu’ils partagent. parfois, elle se glisse sous ses draps, cherchant un peu de chaleur, un peu de réconfort. il ne se passe jamais rien, juste des étreintes, juste un corps pressé contre le sien, une douceur dans ce monde qui lui est si cruel. la seule personne pour qui anya n’a presque pas de secrets, si ce n’est ces bleus qui tachent son corps, qui meurtrissent sa peau.