FULL METAL JACKET (FRAUKE)

ce qu'elle regrette chez frank, c'est que lui au moins il savait la satisfaire. même s'il ne pouvait pas s'empêcher de parler de chiffres après la baise et que parfois, elle se demandait s'il ne pensait pas à ses vignes pendant qu'il lui fracassait les reins.
pour cette raison, elle n'a pas estimé nécessaire de lui dire qu'elle remplaçait mentalement son visage avec celui de l'épicier en bas de la rue. qui lui, était moins bon au lit mais plus agréable à regarder dans les yeux.
frank ressemble vraiment à un merlan frit. il a des billes globuleuses vertes, comme celles qu'on voit parfois dans les film d'effroi- comme un oeil de verre oui - en plein milieu du visage et un double menton. ses sourcils trop épais lui donnent toujours l'impression d'être étonné ce qui peut être déroutant quand il est au dessous de vous ou, perturbant quand il s'agit de parler de commandes.
il ressemble a.
un point exclamation. suivi d'un point d’interrogation.
même dans son cercueil, il a toujours autant l'air d'être surpris par sa propre mort. frauke a juste eu le temps de l'entendre crier, puis tomber. son petit corps flasque qui s'écrase par terre comme de la gelée anglaise et c'était fini.
oh oui, il serait regretté.


frauke ne sait pas pourquoi elle a toujours détesté sa mère. peut-être parce qu'elle était une catin -comme elle - qu'elle avait de longs cheveux blonds de la même matière qu'une serpillière - un peu comme elle, aussi - ou parce qu'elle était particulièrement.
comme ils disaient.
innocente.
une sorte de puritaine que toute l'église avait sauté.
mais qui se promenait comme un ange avec son petit panier quand elle allait chercher ses légumes. n'importe quel homme aurait voulu être sa grappe de tomate à ce moment là.
pour cette raison, frauke ne sût jamais qui était son père. elle estima, plus tard quand elle avait vingt ans, que le baron qui l'avait reconnue l'avait fait parce qu'il risquait surtout que son nom soit déshonoré. frauke aurait pu finir dans un étable, elle s'est retrouvée à côtoyer des chevaux à l'époque où c'était encore à la mode. l'homme en vendait à l'armée et pour des sportifs. c'est sur les plus beaux étalons qu'elle a apprit à chevaucher.
tout la destinait plus ou moins à finir dans un domaine de vigne. seule la place aurait changé. plutôt que d'être une servante crasseuse, elle est devenue une princesse des temps moderne. le titre en moins.
le prince charmant, un peu moins charmant.

elle a rencontré frank un soir, plutôt alcoolisée. elle se souvient qu'on lui a poliment présenté l'homme.
poliment, mais avec une certaine poigne dans la main qui voulait sans doute dire "celui-ci sera ton mari". à choisir, elle se dit que le sort aurait pu être plus pernicieux. elle aurait pu finir avec un médecin qui aurait su comment réagir lors de ses grossesses. il aurait remarqué trop vite qu'il la trompait.
il ne l'aurait pas cru quand elle se plaignait de ses règles pour aller gambader ailleurs avec ses amies et dépouiller des boutiques de prêt à porter au lieu de cet ennuyeux dîner d'affaire.
ou un avocat. qui aurait recraché son verre lors du premier repas de famille.
- oh oui, papa soutenait les ss.
il aurait cherché ses mots, peut-être que le ton serait monté. le mot humanité sorti de son contexte à chaque détour de phrase.
alors un viticulteur, ce n'était pas un si mauvais choix.

sauf quand frauke a comprit qu'il faisait du champagne.


elle a avorté deux fois. et deux fois, elle a failli y rester.
la première fois, elle a fait croire à frank qu'elle avait grossi et qu'elle était mourante, qu'il lui fallait du bon temps en province. des vacances pour elle même, pourquoi pas aller voir son domaine ?
qu'il reste en ville, s'occupe des affaires.
elle a contacté ces filles qui vous ouvrent le bide sans poser de question. sauf votre âge peut-être, votre prénom et l'adresse où envoyer votre cadavre. ce n'était pas frank le père. il n'aurait pas pu lui donner d'enfant.
ses enfants venaient de la terre et poussaient en grappes. et le bon dieu avait décidé qu'il ne serait jamais capable de produire un seul mioche humain.
pour autant, elle ne pouvait pas faire croire que c'était le sien. parce que son amant était noir et qu'il était monté dans un avion le matin même.
l'avion n'est jamais revenu. et frauke est resté avec sa cicatrice et ses balbutiements d'excuses.

elle n'aurait pas recommencé si la deuxième fois, elle n'y tenait  pas vraiment.
il n'était pas beau.
ni jeune.
ni riche.
mais il savait parler aux femmes. il savait bouger et danser, la distraire et la faire gémir. il avait tout pour lui. il en avait trop. il était bien plus intelligent qu'elle ne l'était.
il savait qui elle était et ce qu'ils faisaient et il venait jusque chez eux, séduire son mari de belles paroles. de promesses d'acheter des caisses pour son restaurant à paris.
il lui parlait de paris et de la dame de fer dont on parlait dans le monde entier. de son arc de triomphe. de son vin.
son vin, ses lèvres. le rouge. il l'habillait de velours rouge de paris.
des fêtes, des bals, d'une vie.
ils l'ont fait trop de fois. elle voulait le garder. mentir.
elle aurait disparu, elle aurait changé d'identité, elle aurait fait d'eux une romance tragique pour une romance de gare.

lui non plus, n'est jamais revenu.

mais lui, elle l'a pleuré. elle l'a cherché parmi les briques tombées.
et s'est redressée. la réunification sera bonne pour les affaires.
petite fille soudain effrayé du monde extérieur dans lequel elle est maintenant laissée seule.
non pas qu'elle aimait frank. mais au moins lui la protégeait.