( et quand je sers chula contre mon corps j'ai des regrets )

Susanne l'impérieuse. Princesse déchue d'une contrée inconnue, elle est de marbre une sculpture façonnée. De ses formes elle ne joue cependant pas. Elle erre dans les limbes d'une existence sur terre déchirée par la vie, cruelle. De sa mère, elle ne sait rien. De sa mère, elle ne connait que des larmes, qui ruissellent sur des joues rosies par le désespoir et l'eau de vie. Jamais, non jamais d'insultes, de cris, ne viendraient fendre les lèvres pleines et charnues de l'homme en costume anthracite. Pas même de coup. Il sait. Il sait ce que Susanne ne sait pas. Et il ne dit rien. Il garde dans le creux de ses yeux, dans le creux de ses mots, fades, le secret de la tragédie. La gamine est issue de deux lignées pures. Deux familles juives allemandes, marchandes d'art et de pierres précieuses dont elle est aujourd'hui la plus belle pièce de leurs collections réunies. Elle est la fille de deux êtres décharnés par les années d'une souffrance qu'elle ne peut imaginer. Elle a grandit dans le luxe et l'opulence. Dans le silence aussi: celui du marbre qui annihile le bruit et de l'or qui recouvre les ignominies. Elle ne sait pas si elle est aimée. Elle n'en saura surement jamais rien. Elle est une absente. Une vivante à la présence fantomatique. De sa vie, elle n'a pas du échanger plus de quelques mots, quelques phrases tout au plus avec celle qui l'a mise au monde. Pale copie de la vénus qui s'affiche pourtant sur les innombrables tableaux d'une demeure que Susanne a toujours connue sans vie.
Hors de ces murs de silence, elle cependant est toute autre. Elle parle. Beaucoup. Parfois trop. Elle débite sans relâche des phrases et des mots qui ne s'entrechoquent jamais. Des phrases et des mots qui semblent toujours former, à l'orée de ses lèvres divines, l'écoulement parfait d'une source de jouvence. Elle est la reine d'un domaine qui s'étend sur une ville désormais réunifiée. Elle qui parle cinq langues, elle que l'on admire, elle que l'on ne saurait désarmer, que l'on ne pourrait déstabiliser. (...)